Publié le : 03/08/2020
A 3h35 du matin, ce 1er août 2020, à l’Assemblée nationale, 60 députés s’applaudissent. Ils viennent d’adopter définitivement le projet de loi bioéthique. Un texte aux enjeux vertigineux, contre lequel les 37 députés contre et les 4 abstentions n’auront pu faire barrage.
Renié, l’esprit qui a animé le besoin d’encadrer les possibilités techniques qu’apportent les progrès scientifiques. À terre, les grands principes fondamentaux de protection (de la personne humaine et du corps humain) qui ont bâti notre droit de la bioéthique. Les tenants de cette déconstruction ont tordu le bon sens et le droit pour autoriser chimères homme-animal, instrumentalisation accrue de l’embryon humain, PMA et autoconservation des ovocytes sans raison médicale, banques de gamètes à but lucratif… Un cavalier législatif a même modifié l’encadrement de l’Interruption médicalisée de grossesse (IMG), en ajoutant le critère de détresse psychosociale pour l’autoriser jusqu’au terme de la grossesse, même si le bébé est en parfaite santé.
On est comme sonné devant le champ de ruines que laisse la tornade progressiste sur lequel flotte le drapeau de la mesure qui aura toujours servi à dissimuler toutes les autres: la PMA pour toutes.
La majorité a rejeté tous les amendements évoquant « l’intérêt supérieur de l’enfant » proposés par l’opposition.
Même si la majorité s’en défend, c’est un droit à l’enfant qu’elle aura inscrit dans le marbre. Elle s’est d’ailleurs empressée d’effacer en seconde lecture la plupart des contributions du Sénat, en particulier l’article qui venait compléter le Code civil de la phrase «nul n’a de droit à l’enfant». Elle a aussi méticuleusement rejeté tous les amendements évoquant «l’intérêt supérieur de l’enfant» proposés par l’opposition. Comment aurait-elle pu le défendre au sein d’un texte qui organise, au contraire, la méconnaissance des droits de l’enfant, avant même qu’il ne soit conçu?
Pour éteindre les oppositions et mettre sous la cloche des bons sentiments toutes les conséquences néfastes inhérentes à cette «loi de tous les dangers», LREM a sorti de sa besace à éléments de langage son paravent-joker: l’amour. On a entendu jusqu’au ministre Olivier Véran répondre à ses opposants (d’une voix ne vibrant pas tellement d’amour), que «cette loi n’est pas porteuse de tri, de chimères, elle parle d’amour, de famille, de filiation, de recherche, de santé». Et hop. Emballé, c’est pesé. «Et l’amour, il met le mensonge dans le papier d’alu!» L’utiliser ainsi en étendard vise à attendrir, à aveugler, à embarquer avec lui tous ceux qui ne voient pas quelles injustices on commet en son nom.
La logique de cette loi repose sur le postulat qu’il n’y aurait qu’un seul pivot autour duquel tout tournerait : l’adulte. L’adulte et ses désirs, illimités.
Mais l’amour, aussi présent et sincère soit-il, peut-il tout justifier? L’amour est essentiel. Sans lui, tout ce qu’on dit et tout ce qu’on fait sonne creux. Cependant la logique de cette loi repose sur le postulat qu’il n’y aurait qu’un seul pivot autour duquel tout tournerait: l’adulte. L’adulte et ses désirs, illimités. L’adulte et sa prétendue autonomie, exacerbée. L’adulte et ses droits, toujours plus nombreux, à exiger. L’adulte et sa volonté, toujours plus puissante. Si puissante désormais qu’elle nous survivrait, selon le rapporteur Touraine et sa nouvelle définition-novlangue de la PMA post-mortem qu’il ne désespère pas de faire passer à la prochaine révision: «la PMA de volonté survivante» … tout un poème. La bataille bioéthique est éminemment sémantique, il faut changer le sens des mots pour changer les esprits, lui comme d’autres l’ont bien compris.
Personne ne songe à présumer par avance de l’amour que recevra, ou pas, un enfant tout au long de sa vie, quel que soit son mode de procréation. Mais ce qu’on ne mesure probablement pas encore assez, c’est l’impact de ces nouvelles techniques procréatives sur les mentalités, sur notre société et sur les relations humaines. La technique nous fait glisser vers une individualisation de l’engendrement qui accentue l’individualisme dont souffre nos sociétés dites modernes. La dérégulation de l’encadrement de notre recherche l’oriente vers la manipulation génétique des embryons humains, les gamètes artificiels. Dans plusieurs pays, les premiers bébés génétiquement modifiés sont déjà nés, même plus des essais sur l’homme mais des essais d’homme. Le tri d’embryon via DPI-A a été écarté du projet de loi, mais la technique, déjà là, contient en elle-même son usage et sa logique eugénique.
En réduisant l’être humain à son code barre génétique, le pouvoir donné aux biotechnologies est immense: décider quelle vie vaut, ou ne vaut pas, la peine d’être vécue. Mais si nous perdons la sensibilité personnelle et sociale à l’accueil d’une nouvelle vie, surtout si elle est fragile, ce sont d’autres formes d’accueil utiles à la vie sociale qui se dessécheront.
L’amour vrai nourrit l’humilité, la prudence, la patience, la prise en considération du bien d’autrui, des générations futures et du monde qui nous entoure.
Au fond, la loi comme les débats et les offensives pour l’aggraver révèlent, à ceux qui veulent bien le voir, où la technique et le marché nous entraînent: vers une procréation marchande, de plus en plus artificielle, où le bébé sur mesure sera soit produit à tout prix, soit soumis à une implacable sélection pour gagner son droit à la vie.
Sera-t-il si facile pour un enfant de savoir qu’il existe parce qu’il a obtenu le droit de naître sous conditions, à la suite d’un tri, d’une intervention génétique ou d’un contrat le concernant?
L’amour vrai nourrit l’humilité, la prudence, la patience, la prise en considération du bien d’autrui, des générations futures et du monde qui nous entoure. Il permet si c’est plus juste de renoncer à ses désirs personnels, donne l’envie d’agir non comme des propriétaires, mais comme des serviteurs de la vie. L’amour vrai se souvient que plus que donner la vie à un enfant, on le donne à sa vie.
Source : «La loi bioéthique, ou le pouvoir sans limites de l’adulte sur la procréation» (lefigaro.fr)