Tribune Aleteia
A l’heure où j’écris ces lignes, je me prépare à partir rejoindre un immense rassemblement scout où je suis invitée pour parler aux guides-ainées et aux routiers. Je me sens petite. Que dire à des jeunes de 20 ans ? Alors-même que je crois que c’est eux qui ont tant à me dire. D’avance, je sais que ces rencontres vont me faire grandir. Mais il faut bien répondre à l’exercice. J’ai dit oui, je ne peux me défiler. Alors, bien humblement, aux scouts, aux guides ainés et à leurs dévoués chefs, je leur dirai trois mots : bravo, merci et courage.
Bravo
De témoigner dans ce monde de cette grâce particulière qui vous traverse : celle de savoir choisir l’intranquilité. Alors même qu’une enquête publiée ces derniers jours parle d’une vaste épidémie de flemme sur la France, vous savez sortir de vous-mêmes. Alors même que nos modes de vie sont de plus en plus écranisés et bruyants et, vous savez quitter l’agitation du monde temporairement. Alors même que nous vivons dans une société presse-bouton, où tout semble faussement à portée de clics, vous avez appris à construire de vos mains et à vous débrouiller avec trois fois rien. Alors même qu’on constate une désaffection envers l’engagement, vous sentez cet appel à faire de votre mieux. A servir. A vous donner. Alors même que tant de choses semblent nous tirer vers le bas, étouffer notre liberté de penser et de parler, vous témoignez d’une exigence envers vous-mêmes, envers les autres, envers la vie, la société. Je leur dirai bravo de nous rappeler qu’on peut travailler à grandir en autonomie, mais pas sans les autres. Dans vos nuits étoilées, vous veillez vos âmes, vos amitiés, avec force, enthousiasme et fierté. Vous savez chanter à tue-tête, au coin du feu, et dans ce monde trop souvent individualiste et tourné sur soi, vous rendez vivante la fraternité.
Merci
Je leur dirai merci de porter une telle espérance au cœur d’un monde difficile. Merci de cultiver l’émerveillement dans ces liens très étroits que vous apprenez à tisser avec la création. Merci de nous montrer que la fougue, l’audace, la joie de vivre habitent toujours la jeunesse d’aujourd’hui même si la vie n’est pas facile, que nous traversons des crises dans tous les sens et que les épreuves, les doutes, les inquiétudes ne doivent pas vous épargner. Pas plus que les autres, finalement. Merci de nous prouver qu’on peut sortir de son canapé, mettre plus de vie dans la vie, et de nous rappeler que chacun est invité à donner le meilleur de lui-même pour le collectif. Merci d’espérer et d’essayer de vivre en chrétien dans un monde qui ne l’est plus tant que ça. Je leur dirai merci pour leur joie. Pour leur témoignage de foi.
Le poste que Dieu leur a fixé est si beau qu’il ne leur est pas permis de le déserter
Et parce que leur immense rassemblement, 1300 jeunes, a pour thème les premiers martyrs de Lyon, je leur parlerai de la lettre à Diognète. Cette épitre écrite au IIème siècle à un païen de haut rang qui décrit avec une sorte d’étonnement admiratif la place singulière des chrétiens dans le monde :
« Ils passent leur vie sur la terre, mais ils sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois établies, et leur manière de vivre est plus parfaite que les lois. Ils aiment tout le monde, et tout le monde les persécute. On ne les connaît pas, mais on les condamne ; on les tue et c’est ainsi qu’ils trouvent la vie. Ils manquent de tout et ils ont tout en abondance. On les méprise et, dans ce mépris, ils trouvent leur gloire. On les calomnie, et ils y trouvent leur justification. On les insulte, et ils bénissent. On les outrage, et ils honorent. Alors qu’ils font le bien, on les punit comme des malfaiteurs. Tandis qu’on les châtie, ils se réjouissent comme s’ils naissaient à la vie. En un mot, ce que l’âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde. L’âme habite dans le corps, et pourtant elle n’appartient pas au corps, comme les chrétiens habitent dans le monde, mais n’appartiennent pas au monde. L’âme est enfermée dans le corps, mais c’est elle qui maintient le corps, et les chrétiens sont comme détenus dans la prison du monde, mais c’est eux qui maintiennent le monde. Les chrétiens, persécutés, se multiplient de jour en jour. Le poste que Dieu leur a fixé est si beau qu’il ne leur est pas permis de le déserter ».
Courage !
Alors je leur dirai aussi : Courage ! Pour tenir dans ce poste si beau que Dieu leur a fixé. Courage, pour tenir dans ce monde où la vérité, et la Vérité, n’auront jamais peut-être été si peu aimées. Je leur dirai Courage ! Dans ce combat spirituel personnel, dans cette guerre menée contre la vérité et dans toutes les atteintes à la vie d’aujourd’hui. Je leur dirai qu’on ne peut pas, tout seul, arrêter le rouleau compresseur du mensonge totalitaire. Mais qu’on peut juste faire en sorte qu’il ne passe pas à travers soi. Qu’on ne peut pas toujours crier ce qu’on croit et ce qu’on pense sur tous les toits, mais qu’on peut au moins refuser de dire ce qu’on ne pense pas. Qu’on n’arrive pas toujours à témoigner par des mots dans un monde qui refuse de les entendre. Mais qu’on peut toujours témoigner par sa vie.
Courage, donc ! Et comme d’autres en parlent mieux que moi, je leur lirai quelques bribes de la lettre à un jeune de 20 ans écrite par Hélie de Saint-Marc :
« Il ne faut pas s’installer dans sa vérité et vouloir l’asséner comme une certitude, mais savoir l’offrir en tremblant comme un mystère. Nous vivons une période difficile, où les bases de ce qu’on appelait la morale, et qu’on appelle aujourd’hui l’éthique, sont remises constamment en cause, en particulier dans les domaines du don de la vie, de la manipulation de la vie, de l’interruption de la vie. Où l’individualisme systématique, le profit à n’importe quel prix, le matérialisme, l’emportent sur les forces de l’esprit. Où il est toujours question de droit et jamais de devoir et où la responsabilité qui est l’once de tout destin, tend à être occultée. Mais malgré tout cela, il faut croire à la grandeur de l’aventure humaine. Pour ma très modeste part, je crois que la vie est un don de Dieu et qu’il faut savoir découvrir au-delà de ce qui apparaît comme l’absurdité du monde, une signification à notre existence. Il faut savoir trouver à travers les difficultés et les épreuves, cette générosité, cette noblesse, cette miraculeuse et mystérieuse beauté éparse à travers le monde, et le tremblement sacré des choses invisibles. Il faut croire envers et contre tous à son pays et en son avenir. Et enfin, de toutes les vertus, la plus importante, parce qu’elle est la motrice de toutes les autres et qu’elle est nécessaire à l’exercice des autres, de toutes les vertus, me paraît être le courage, les courages, et surtout celui dont on ne parle pas et qui consiste à être fidèle à ses rêves de jeunesse. Et pratiquer ce courage, ces courages, c’est peut-être cela, l’honneur de vivre ».