RCF 30 avril 2021
A écouter sur : https://rcf.fr/embed/2602588
L’été dernier, j’ai vu une personne barboter dans l’océan avec son masque. Pas un masque et un tuba : un masque chirurgical.
Il y a quelques jours à la caisse d’un supermarché, un petit bébé de quelques mois me fixait de ses yeux ronds depuis sa poussette. Spontanément, j’ai baissé mon masque, pour lui sourire.
La maman s’en est amusée. Je lui ai dit que cela ne devait pas être facile pour les plus petits d’entre nous. Sa réponse se voulait rassurante : Oh, elle est habituée.
Faut-il vraiment s’habituer ?
Beaucoup de gens souffrent de cette vie sans visage. Et pas seulement ceux qui lisent sur les lèvres ou souffrent de difficultés particulières.
Rares sont les penseurs qui éclairent notre époque sur ces questions pourtant essentielles, deux philosophes Martin Steffens et Pierre Dulau s’y sont attelés.
Ils publient ensemble un essai de philosophie et de combat sorti hier chez Première Partie.
Il s’appelle « Faire face – le visage et la crise sanitaire » et ce titre déjà, interpelle.
C’est une réflexion sur le visage humain, bien sûr, sur sa beauté et son actuelle défiguration, par le port du masque, notamment. En grec, le mot « esclave » veut dire sans visage.
C’est une réflexion sur les liens humains de plus en plus lâches : si on ne se fait plus face, ce sont nos forces de vies qui vont décroître, écrivent-ils.
Nos vies sont devenues « sans contact » réels mais de plus en plus connectées et virtuels.
Les auteurs nous interpellent sur ce qui se passe dans certaines villes de Chine, qui font enlever le masque, parce que là-bas, les visages sont reconfigurés en données, en data. C’est la reconnaissance faciale, qui surveille tout le monde, note et fiche chacun. Ça fiche la trouille. Ça nous pend au nez, comme un masque mal ajusté…
« Faire Face » est un essai aussi bousculant que passionnant sur la crise à multiples facettes que nous traversons : sanitaire évidemment, mais aussi morale, politique, sociale, économique et bien sûr, anthropologique et spirituelle.
Au fond, cet essai veut nous encourager à rester humain et à vivre dans ce monde, notre monde, comme quelqu’un pour qui porter le masque ne va pas de soi. Un monde dans lequel avoir un visage n’est pas secondaire.
Martin et Pierre n’invitent personne à faire sauter les masques ou à prendre des risques inconsidérés, mais à penser, à lutter contre les puissance d’effacement de l’homme qui ont toujours existé, mais jamais gagné. Et à tenir en respect tous les faux dieux : dieu de l’Etat total, de la sécurité, de l’hygiène, des machines aveugles et de la monnaie.
Dans cette nuit de l’épidémie tombée sur nous, ils leur opposent un dieu apparemment plus faible mais qui resurgit chaque fois qu’on lui prête un peu de notre attention, ou qu’on mendie la sienne : ce dieu qui n’a pas craint pas de prendre visage humain.