RCF 23 octobre 2020

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N’avons-nous pas le sentiment parfois de vivre certains jours en noir et blanc ? Noir du deuil et blanc du vide.Heurté au plus profond de notre humanité devant ce professeur décapité, on est blessé, en colère, attristé, dans l’effroi. Depuis trop longtemps la violence gratuite et la barbarie ensanglantent notre pays. A chaque attentat, je suis frappée par cette injonction froide : « ne pas avoir ».

Mais ne pas avoir peur du danger, de l’ennemi, de notre propre médiocrité, n’est-ce pas déjà une forme de fuite ou de déni ? N’a-t-on pas le droit d’avoir peur ? La peur, elle, ne nous demande pas si elle a le droit de nous saisir. Moi j’ai peur, parfois, souvent, pas tout le temps. Et je n’ai pas peur de le dire. Dans « La tactique du diable », ce petit livre aussi passionnant qu’intelligent de CS Lewis, un maitre démon enseigne patiemment à son disciple comment faire chuter « son protégé », c’est ainsi qu’il nomme la personne qu’il tourmente.

Le maitre démon explique à son apprenti que deux dispositions d’esprit de l’être humain le conduisent à sa chute : « la peur bleue et l’optimisme béat ». Voilà une ligne de crête intéressante. Ce serait donc de ces deux tentations, l’optimisme béat et la peur bleue, que nous devrions apprendre à nous méfier. Si Lewis ne parle pas juste de « la peur », mais précise : « la peur bleue », c’est parce qu’il y a une juste peur.

La peur, en effet, n’est pas toujours mauvaise conseillère, et c’est elle, aussi, qui invite au courage. Le courage, ce n’est pas de « ne pas ressentir la peur ». Le courage, c’est de ne pas céder à toutes les lâchetés dans lesquelles la peur aimerait nous voir nous aveugler ou nous immobiliser. C’est précisément cette tétanie qu’opère une forme de bien-pensance actuelle, qui sait fabriquer la peur et s’en servir, pour réduire au silence et anesthésier la pensée.

L’autocensure est déjà là, depuis longtemps, sur beaucoup de sujets, et ceux touchant à la vie et à la bioéthique font, dans ce triste paysage, figure de pionniers. On a parfois l’impression qu’il est plus facile aujourd’hui de dire des absurdités que de rappeler de simples vérités. Ceux qui osent le faire se retrouvant, souvent, vilipendés. On a raison de craindre pour la liberté d’expression, mais sa grande sœur, la liberté de penser, n’est pas moins en danger.

Lewis nous met aussi en garde contre « l’optimisme béat ». C’est précisément ce que n’est pas l’espérance. L’espérance est le contraire de l’optimisme béat, puisqu’elle regarde le mal dans les yeux et le désespoir en face, pour mieux le traverser. Car elle voit plus loin. Plus haut. Et c’est dans cette confiance et cette Espérance que résonne le célèbre « N’ayez pas peur » dont nous fêtions, hier, l’anniversaire.