RCF 22 janvier 2021

A écouter sur : https://rcf.fr/embed/2529903

Je vous embarque ce matin sur un sujet digne d’un épisode de Black Mirror.

Vous le savez, nous sommes entrés dans l’ère du numérique, avec un emballement qui donne parfois le vertige. L’Intelligence artificielle transforme en profondeur nos sociétés et même peut-être, vous allez le voir, notre rapport à la mort.

Microsoft vient de déposer le brevet d’un « chatbot » un peu particulier. On appelle cela aussi dialogueur ou agent conversationnel, ce sont ces intelligences artificielles plus ou moins sophistiquées avec lesquelles on peut avoir des semblants de conversations.

La particularité la voici : ce chatbot est programmé pour récupérer une quantité massive de données personnelles pour créer une « version numérique » d’une personne en particulier.

Une personne vivante ou décédée. C’est ainsi que ce chatbot envisage donc, je cite, de pouvoir « communiquer avec vos proches décédés ». C’est bien sûr totalement abusif comme description. Le mort ne parle pas. Mais sa version numérique. Oui. Une version dans laquelle sera enregistré ses souvenirs, ses passions, son quotidien, ses expressions, ses manières de parler.

Un journaliste américain passionné d’IA est déjà parvenu à créer son « dadbot », « Dad » pour papa, à partir d’enregistrements et de souvenirs qu’il avait de son père. Sur une vidéo, on voit ce jeune homme aller sur un terrain de sport, et avoir un semblant d’échange avec son dadbot, il a même créé un chat artificiel. C’est émouvant et cela met aussi mal à l’aise.

Imaginons dans quelques années, cette version habillée d’une machine grandeur nature, avec la reconstruction d’un visage proche de celui de la personne décédée, capable d’interagir avec sa vraie voix. Ce serait plus que troublant.

Outre les problèmes éthiques autour par exemple des droits du mort, ce qui pose le plus de questions est sur la manière dont on peut vivre son inévitable deuil face à ces machines. Les souvenirs de l’être aimé sont très importants, mais la confusion que cela créée entre la vie et la mort pourrait bloquer un cheminement de deuil pourtant bien nécessaire.

Il y a quelques jours j’ai lu « apprendre la mort » de CS Lewis, son livre de pensées personnelles où il parle à cœur ouvert de la mort de sa femme qui l’a terrassé. Il témoigne de ce déchirement et de ce qui l’aide à dompter le vide. C’est d’une richesse infinie. Je vous en lis quelques mots :

« Il est difficile de rester patient avec ceux qui vous disent « la mort n’existe pas ou « la mort ne compte pas ». La mort existe. Et tout ce qui existe compte. Et tout ce qui arrive à des conséquences et celles-ci sont irrévocables et irréversibles. (…) En ce qui me concerne le programme est simple. Je me tournerai vers elle aussi souvent que possible, avec joie. Moins je me lamente à son sujet, plus il me semble être proche d’elle. Je ne veux pas tomber amoureux du souvenir que j’ai d’elle. C’est elle que j’aimais. »