Chronique parue dans Limite
La loi sur l’euthanasie débattue à l’Assemblée nationale en avril dernier prétend défendre la liberté des personnes en fin de vie à se donner la mort. On peut douter que cette loi défende vraiment la liberté.
Le spectre de l’euthanasie revient régulièrement. Six pays dans le monde l’ont déjà dépénalisée. Une nouvelle offensive vient de secouer la France et ses répliques sont déjà annoncées. Sa version 2021 arbore plus que jamais le mot « liberté ». Cette liberté mise justement douloureusement entre parenthèse depuis des mois au motif de…sauver des vies.
La proposition de loi débattue en avril commençait ainsi : « Notre démocratie a su conquérir, une à une, toutes les libertés. Toutes, sauf celle de choisir sa mort ».
Mais une telle loi défend-elle vraiment la liberté, ou au contraire, en fait-elle sa première victime ?
On l’aura tous remarqué – c’est assourdissant – sondages, reportages, stars-bavardages, tout alimente l’idée fausse que nous n’aurions que deux options : souffrir indéfiniment ou mourir par injection létale. On en oublierait presque que l’obstination déraisonnable est interdite par la loi et que tout faire pour soulager la douleur est un devoir du corps médical, même si certains traitements ont parfois pour effet d’abréger la vie (principe du double effet décrit par St Thomas d’Aquin). Ainsi, celui à qui on laisse croire qu’il a la liberté de choisir, mais n’a d’autres choix que 1/ souffrir ou 2/ se supprimer ou être supprimé n’est évidemment déjà plus libre de son choix. Il y a d’autres voies, bien sûr, que seul le refus absolu de l’euthanasie peut permettre de développer.
Légaliser l’euthanasie serait une rupture, suivie d’un glissement de terrain. La peur de devenir un poids pour son entourage grandira à mesure que le regard collectif sur la fragilité se brouillera ou se détournera, à cause de l’existence même d’une telle loi. Cette pseudo liberté dépénalisée poussera d’abord les plus faibles à s’y résigner. On dira : c’est leur droit, c’est ce qu’ils veulent. Ensuite, même ceux qui ne le veulent pas y auront droit.
Et quelle liberté pour ceux contraints à pratiquer ce geste irrémédiable ? Dans une tribune, des médecins indignés parlent d’une pratique résolument contraire à leur mission, déontologie, vocation, pratique et à leur serment professionnel. Ils s’interrogent sur cette « liberté qui s’exécute en s’exécutant, qui s’anéantit en s’accomplissant ».
L’interdit de tuer est gravé dans le marbre de la déontologie médicale depuis 2 500 ans, il l’est aussi, il faut y croire, dans la loi morale inscrite dans le cœur de l’Homme. Prendre soin des personnes vulnérables, des malades et des mourants est sans doute le critère ultime de notre humanisation. Des progrès sont encore attendus. Ceux qui accompagnent ceux qui meurent ont beaucoup à nous apprendre sur tout ce qui reste à faire quand il n’y a plus rien à faire. Rester humain, jusqu’à la fin.
juillet 2021